Des solutions durables pour réduire la montagne de déchets


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Le Dr Franco Berruti, professeur à l’Université Western Ontario (UWO), titulaire d’une chaire de recherche industrielle du CRSNG et membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation de Bioenterprise, nous met en garde contre la plus grande menace à la réussite du développement durable – l’accroissement démographique – et nous présente ses plus récents projets de recherche sur le biocharbon.

Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise

Devant la montagne de défis à relever, il est difficile de rester optimiste quand on imagine l’avenir de l’humanité et de la vie sur terre. Mais grâce aux recherches et aux innovations d’éminents scientifiques comme Franco Berruti, nous sommes capables d’escalader cette montagne et de relever des défis comme les changements climatiques et la nécessité de nourrir une population grandissante. À la fois réaliste et rêveur, M. Berruti reconnaît la sombre réalité qui se dessine pour notre planète. Mais son amour inébranlable pour la nature et l’environnement le pousse à continuer vers le sommet sans abandonner.

Titulaire de la Chaire de recherche industrielle en conversion thermochimique de la biomasse et des déchets en ressources bio-industrielles [en anglais seulement] du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) depuis 2018, Franco Berruti nous livre ses réflexions sur l’un des sujets les plus importants de notre époque : les déchets.

De la mort naît la vie

L’histoire de M. Berruti commence dans la campagne italienne fertile, où il entretenait les jardins et les vignobles familiaux, vivait parmi les animaux et pratiquait l’équitation, et où il a appris à conduire un tracteur dès l’âge de 10 ans. C’est là, à la ferme de ses grands-parents, que le jeune Franco a été témoin pour la première fois de l’équilibre délicat de la nature.

La vie rurale a cette façon de marquer profondément les humains, révélant la vérité et la beauté dans le cycle infini de la vie et de la mort, et ce jeune garçon impressionnable n’était pas insensible à l’influence extraordinaire de la nature. Là-bas, à la ferme, les déchets étaient un trésor, un outil, une ressource. Ils retournaient à la terre, au sol, aux plantes, aux animaux, aux êtres humains. À l’époque, le jeune Franco n’a peut-être pas compris l’importance de ce concept, mais son enfance a sans aucun doute façonné son avenir et sa mission.

Malgré son attrait précoce pour les lettres et sciences humaines, après le secondaire, le jeune Franco s’est détourné de sa passion pour le grec, le latin et les arts et a obtenu un diplôme de troisième cycle en génie chimique à Politecnico di Torino [en italien et en anglais seulement], en Italie. À l’âge de 25 ans, il s’est installé au Canada pour étudier à l’Université de Waterloo [en anglais seulement] où il a obtenu une maîtrise ès sciences appliquées, puis son doctorat.

M. Berruti a exercé diverses fonctions de direction, de l’Université de Calgary [en anglais seulement] à l’Université de la Saskatchewan [en anglais seulement] où il a été doyen de la faculté d’ingénierie, pour finalement atterrir à l’Université Western Ontario [en anglais seulement]; il est aussi un membre estimé du Comité consultatif sur la science et l’innovation (CCSI) [en anglais seulement] de Bioenterprise.

M. Berruti jouit d’une réputation légendaire pour la mise au point de technologies innovantes et l’établissement d’un réseau solide au Canada, en Amérique du Nord et dans le monde entier. Ses travaux primés [en anglais seulement] couvrent tout le spectre de la boucle de valorisation des déchets. Dans le domaine de la durabilité, nous pourrions tracer une ligne précise entre l’industrie pétrolière et gazière et l’industrie de la conversion de la biomasse, qui semblent se situer aux antipodes du spectre. Mais M. Berruti choisit d’enjamber cette ligne de manière à garder une solide prise de pied tout en poursuivant l’ascension vers le sommet.

S’ajustant pour maintenir cette position après chaque mouvement, il tire des leçons de son passé et avance progressivement vers l’ascension finale. Son objectif et sa vision s’incarnent dans cette simple déclaration : « Dans mon esprit, comme dans la nature, le gaspillage n’existe pas. »

Exposer des ressources cachées

M. Berruti croit en une approche durable où les déchets sont considérés comme des ressources, vision guidée par le cycle naturel où rien n’est gaspillé. Il se passionne pour la protection de l’environnement et prône la redéfinition de la fin de vie comme le début d’un cycle nouveau, qui consiste à transformer les résidus en de nouveaux produits.

« Quand un arbre meurt, il retourne à la terre et engraisse le sol au profit de nouveaux arbrisseaux. C’est la même chose quand un animal meurt ou est dévoré par un autre animal. Dans la nature, où il n’y a pas de décharges, il y a toujours un équilibre. Nous devrions donc examiner comment toute chose, y compris les produits inorganiques, peut servir de matière première pour un nouvel usage à la fin de sa vie utile. » L’équipe de M. Berruti à l’Institute for Chemicals and Fuels from Alternative Resources (ICFAR) [en anglais seulement] et d’autres chercheurs ont prouvé ce concept avec succès. « Nous pouvons utiliser n’importe quel résidu et le transformer en un nouveau produit qui aura une nouvelle vie. »

Nombre de ses étudiants et collègues partagent cette philosophie, qui stimule leurs recherches et leur engagement à résoudre des dilemmes complexes. Ils voient un intérêt à s’attaquer aux complexités du recyclage de matériaux difficiles comme les plastiques contaminés, qu’ils considèrent comme un reflet des problèmes du monde réel et comme une occasion de changer concrètement les choses. Selon M. Berruti, il est possible de donner une seconde vie à tout type de déchet.

La jonction des matières premières et des techniques

Selon M. Berruti, on entend par déchet tout ce qui devient encombrant à la fin de sa vie utile, notamment les sous-produits organiques issus de l’agriculture, les résidus forestiers, ainsi que les résidus alimentaires et d’épicerie. À cela s’ajoutent les sous-produits inorganiques comme le pétrole et le gaz, le plastique et divers produits chimiques. Lorsqu’un de ces matériaux encombrants est utilisé, il devient une matière première qui réintègre le cycle pour créer quelque chose de nouveau.

Au fil des ans, M. Berruti a adopté une approche multifacette en matière de recherche, intégrant à la fois des ressources durables et non durables pour développer des produits à valeur ajoutée. C’est souvent à cette intersection qu’il est possible de tirer parti des similitudes entre les procédés utilisés pour le raffinage des huiles lourdes et le concassage des déchets de la biomasse. Cette approche globale permet de s’attaquer efficacement à des problèmes complexes.

Devant la complexité des matières premières, il est nécessaire de bien comprendre les différents résidus (agricoles, industriels et autres) ainsi que les différentes méthodes pour traiter ces résidus le plus efficacement possible. En examinant cette problématique sous divers angles et en intégrant la recherche interdisciplinaire, M. Berruti et son équipe mettent à profit leurs connaissances des processus thermochimiques et biologiques pour trouver des applications concrètes. Un de leurs projets prioritaires a pour but d’étendre la production de biocharbon aux exploitations agricoles.

Les merveilleux avantages du biocharbon

Le biocharbon est un charbon poreux riche en carbone issu du processus de pyrolyse, qui consiste à chauffer des résidus de biomasse d’origine agricole, forestière ou alimentaire en l’absence d’oxygène. Ce procédé décompose les molécules de la matière première sans les brûler et produit une forme stable de carbone. Contrairement aux essais visant à produire des liquides comme des biocarburants à partir de ces résidus, qui s’avèrent jusqu’ici coûteux et moins efficaces que les produits pétroliers, le biocharbon offre une solution plus accessible et plus pratique, ainsi que des avantages substantiels.

Dans l’économie circulaire agricole, le biocharbon sert d’engrais à base de carbone. Sa nature poreuse améliore la qualité du sol, favorisant un environnement propice à la vie microbienne et à la croissance des plantes.

Le biocharbon joue également un rôle environnemental important dans la séquestration du carbone en capturant le dioxyde de carbone de l’atmosphère sous une forme stable qui est ensuite réintroduite dans le sol. En plus de piéger le carbone et de l’empêcher de contribuer aux émissions de gaz à effet de serre, cela améliore la fertilité et la structure du sol.

M. Berruti considère le biocharbon comme une source importante d’ajout de valeur dans l’économie circulaire, car il offre aux agriculteurs une solution polyvalente pour l’utilisation des résidus, contrairement aux sous-produits liquides et gazeux issus de la biomasse, qui sont d’une utilité limitée. « Si nous misons sur le biocharbon plutôt que sur la production de liquides, les agriculteurs pourront transformer leurs déchets en produits fertilisants susceptibles de donner des résultats immédiats. »

En outre, les agriculteurs peuvent effectuer la totalité de ce processus, de manière autonome, à la ferme. Mais comment? Grâce à un dispositif innovateur.

La machine verte

M. Berruti et son équipe ont conçu une machine qui permet aux producteurs agricoles de convertir leurs déchets organiques en biocharbon, ce qui offre de nombreux avantages comme l’amendement du sol, la fertilisation et la séquestration du carbone.

« Un producteur peut jeter dans la machine des résidus solides comme des tiges de maïs, des branches d’arbres, des feuilles, de la litière pour poulets, du fumier – pratiquement n’importe quelle matière organique. Le biocharbon qui en ressort peut ensuite être épandu dans les champs. C’est là que les choses deviennent intéressantes, car nous pouvons produire des amendements de sol et des engrais, en plus de séquestrer le carbone pour obtenir des crédits compensatoires, et ce, à la ferme. »

À l’heure actuelle, il existe un prototype à des fins d’essais en laboratoire qui permet de produire des échantillons de biocharbon. L’équipe a conçu un dispositif de plus grande taille pour une utilisation à la ferme, en collaboration avec des organisations et des experts internationaux. M. Berruti compte intégrer ces travaux pour mettre au point une unité de démonstration, marquant ainsi l’aboutissement des recherches de l’équipe et une étape importante vers l’application commerciale.

Mais avant que M. Berruti ne puisse concrétiser sa vision et mettre la technologie à la disposition des agriculteurs, l’équipe doit s’attaquer à un important obstacle à la commercialisation : la disponibilité de la matière première. C’est qu’ici, au Canada, nous sommes confrontés à des limitations saisonnières qui compromettent la possibilité d’utiliser la technologie en continu de manière rentable. Toutefois, des partenariats établis en Amérique centrale et en Amérique du Sud, où des cultures poussent toute l’année, présentent des débouchés intéressants.

« Si nous mettons au point une technologie très polyvalente qui fonctionne au Canada, où nous avons quatre saisons, et que nous pouvons l’utiliser toute l’année, notamment dans des serres, nous surmonterons facilement les hésitations des investisseurs canadiens et internationaux. »

Biocharbon 2.0

Un autre projet auquel travaille l’équipe de M. Berruti ajoute une dimension précieuse au biocharbon, le faisant passer à un niveau supérieur. L’équipe collabore avec une entreprise de l’Alberta à la mise au point d’engrais à libération lente, riches en nutriments, à partir de résidus de biomasse.

Ils commencent par produire du biocharbon poreux, puis l’améliorent en y ajoutant des nutriments essentiels tels que l’azote, le potassium et le soufre. Ce processus transforme le biocharbon en un engrais encore plus efficace, ce qui lui confère un quadruple avantage : séquestration du carbone, amendement du sol, meilleure interaction avec les plantes et la vie microbienne dans le sol, et une valeur fertilisante accrue comparable à celle des engrais chimiques traditionnels.

Cette innovation permet de recycler des déchets en un produit de valeur, tout en assurant la production à grande échelle. « Nous pouvons éliminer une matière encombrante et la transformer en possibilités extraordinaires », se réjouit M. Berruti. L’engrais produit est assez abondant pour être distribué en vue d’essais poussés sur le terrain, ce qui enthousiasme l’équipe en raison des retombées possibles.

Établissement d’un « camp de base »

La carrière de M. Berruti est jalonnée de contributions importantes grâce à son rôle de leader dans diverses initiatives de collaboration et de réseautage international. Il travaille avec diligence pour créer un point d’atterrissage où l’intégration des idées, la recherche, les ressources et la science appliquée peuvent se rencontrer – une sorte de camp de base de la collaboration.

Notamment, il a dirigé de grands projets comme le Agricultural Biorefinery Innovation Network [en anglais seulement], la plateforme de pyrolyse des Réseaux de centres d’excellence BioFuelNet et la contribution du Canada au Réseau Royaume-Uni–Canada pour le captage du carbone.

Sur les plans universitaire et professionnel, l’engagement de M. Berruti envers la recherche est illustré par ses diverses fonctions administratives. Il est l’un des fondateurs de l’Institute for Chemicals and Fuels from Alternative Resources (ICFAR) de l’Université Western. À l’ICFAR, il a facilité l’établissement de partenariats industriels et utilisé des programmes fédéraux comme les chaires de recherche industrielle du CRSNG pour développer l’équipe. Cette croissance a été stratégique : des postes ont été transformés en chaires de recherche afin d’embaucher davantage de membres du corps enseignant, ce qui a permis de faire passer la composition de l’équipe de deux à cinq membres.

Sous sa direction, l’ICFAR a créé un réseau solide qui collabore avec plusieurs universités, secteurs et partenaires internationaux. Ce réseau soutient un environnement de recherche dynamique composé d’environ 50 étudiants diplômés, 10 étudiants postdoctoraux et plusieurs chercheurs internationaux et professeurs invités.

Ce parcours d’autonomie et de résilience, mené uniquement avec l’aide de contacts de l’industrie et du gouvernement fédéral, est une source de fierté pour M. Berruti. « Nous avons parcouru un long chemin. C’était difficile, mais en même temps très gratifiant », dit-il.

Des débouchés parmi les détritus

La liste des projets en cours de M. Berruti et de son équipe est bien trop longue pour être parcourue en une seule fois. Elle montre clairement que les possibilités liées à la transformation des déchets en ressources dans le contexte des difficultés associées aux changements climatiques et aux pratiques humaines sont infinies. Les effets dévastateurs des incendies et des inondations au Canada et dans le monde, dont nous sommes les témoins directs, montrent qu’il est urgent de nous attaquer aux problèmes environnementaux.

M. Berruti souligne que la conversion des déchets en produits de valeur présente un vaste potentiel, qui est encore embryonnaire. La réussite de la transformation globale repose non seulement sur l’expertise technique, mais aussi sur le sens des affaires, car si nos connaissances ne cessent de se développer, elles ne se traduisent pas toutes encore par des applications pratiques.

« Nous avons les connaissances. Il faut maintenant que des entrepreneurs s’en emparent et les transforment en entreprises commerciales », dit-il. En outre, les attitudes de la société évoluent, les gens réclament des solutions aux problèmes, ce qui souligne l’immense capacité d’innovation en matière de pratiques durables.

À la recherche de l’équilibre

M. Berruti estime que l’époque actuelle est passionnante, en particulier pour les jeunes, car elle permet de s’engager à la fois dans la recherche et le développement et dans la mise en œuvre commerciale de processus durables. Mais il est aussi très inquiet pour l’avenir de notre planète et de l’humanité.

« La base change constamment. La population mondiale ne cesse d’augmenter, et c’est là le plus gros problème », dit-il sans détour. Malgré les progrès réalisés dans la réduction des émissions et des déchets ici, en Amérique du Nord, les défis dans les pays en développement éclipsent nos améliorations. Ces pays, qui s’efforcent de rattraper les nations développées, connaissent une croissance industrielle fulgurante qui a des répercussions marquées sur l’environnement. Les progrès réalisés sont dès lors annulés par la destruction des ressources naturelles, comme la déforestation de la forêt amazonienne, l’un des plus grands puits de carbone au monde.

Ligne droite vers le sommet

Comment pouvons-nous, collectivement, franchir une crevasse aussi large et surmonter ces obstacles et ces revers? Lorsqu’on lui pose la question, M. Berruti répond qu’il voit une lueur d’espoir dans des projets comme la plantation d’arbres en Afrique, qui peuvent absorber le CO2, en particulier dans des régions où les émissions sont appelées à augmenter. Toutefois, le principal problème reste de trouver un équilibre entre les possibilités d’amélioration de l’environnement et la diversité des connaissances, de l’expertise et de la volonté politique de l’ensemble de la population mondiale.

L’état fluctuant de cet équilibre le laisse sceptique quant à la possibilité d’atteindre un avenir durable, car les efforts actuels sont insuffisants pour contrer les effets négatifs de la croissance démographique et de l’exploitation de l’environnement.

M. Berruti conseille donc aux jeunes Canadiens de chercher à exploiter et à mettre en œuvre des technologies innovantes, non seulement ici au Canada, mais aussi dans les pays en développement, où l’impact sera le plus important. À l’heure actuelle, il est convaincu qu’il s’agit là de la clé de voûte d’un avenir durable pour nous tous.

Le point de vue de M. Berruti nous permet d’acquérir une compréhension élargie, mais fractionnée, des problèmes et des solutions entourant l’un des sujets les plus pressants du monde en matière de développement durable. Bien que la montagne de déchets puisse sembler intimidante à la lecture des paroles graves et des mises en garde de M. Berruti, il est évident que la recherche et l’innovation ont permis de progresser vers le sommet, et continuent de le faire. Ne perdons pas encore espoir. Ce sont les humains qui ont créé ce problème, et si nous agissons à temps, nous devrions un jour être en mesure de le régler.


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