Paul Hoekstra, vice-président du développement stratégique de l’association Grain Farmers of Ontario (GFO) et membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation de Bioenterprise, aborde le rôle du Canada dans la crise alimentaire mondiale, la question des engrais, les innovations et la technologie agricoles et les possibilités qu’offrent l’agriculture canadienne.
Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise
Dans le vaste secteur de l’agriculture, des leaders comme Paul Hoekstra ouvrent la voie à un avenir plus durable pour l’agriculture. Témoin privilégié de l’évolution des pratiques agricoles au Canada, Paul nous livre son point de vue sur la sécurité alimentaire, la gérance de l’environnement et la durabilité. Il fait également la lumière sur des enjeux entourant les engrais et traite des dernières innovations et de technologies prometteuses dans le secteur agricole.
Agriculteur dans l’âme, scientifique de formation et aujourd’hui vice-président du développement stratégique de l’association Grain Farmers of Ontario [en anglais seulement], Paul nous fait part de son parcours, où passion et connaissances s’entremêlent de façon harmonieuse.
Cultiver des racines saines
L’histoire de Paul débute dans une ferme de l’Est de l’Ontario, qui a nourri son amour de l’environnement et de l’exploration scientifique dès l’enfance. Doté d’une aptitude naturelle à la résolution de problèmes, il a exploité cette passion précoce et entrepris des études en sciences de l’environnement à l’Université de Waterloo [en anglais seulement] avant d’obtenir son doctorat en biologie de l’environnement (toxicologie) de l’Université de Guelph [en anglais seulement] en 2003.
Tout au long de sa carrière aux multiples facettes, Paul s’est forgé une solide réputation et a acquis une riche expérience pratique en travaillant dans le secteur privé, en tant qu’expert-conseil et en collaborant avec le gouvernement. Il est aujourd’hui un membre éminent du Comité consultatif sur la science et l’innovation [en anglais seulement] de Bioenterprise.
Outre ses activités professionnelles, Paul trouve une immense satisfaction personnelle à traduire les connaissances scientifiques de manière simple et pertinente, au bénéfice de tous. Si son travail au sein des GFO vise à répondre aux besoins des agriculteurs, il permet également, selon ses propres termes, de « stimuler la production et la sécurité alimentaires de manière durable, non seulement pour l’agriculteur, mais aussi pour la société en général ». À ce titre, son engagement à jeter un pont entre la science et les défis réels de l’agriculture dépasse les frontières de l’exploitation, ce qui lui convient à merveille.
Relever les défis alimentaires mondiaux
Il est indéniable que le paysage de l’agriculture mondiale est sous-tendu par un tissu complexe. Paul Hoekstra reconnaît les obstacles posés par la croissance démographique, les changements climatiques et l’évolution des préférences alimentaires. « La crise alimentaire est bien réelle », confirme-t-il. Pourtant, au milieu de cette incertitude, il affirme que le Canada s’en tire bien. « Nous avons la chance de vivre dans un pays qui produit une surabondance d’aliments salubres, abordables et nutritifs. »
Contrairement à d’autres régions du monde, et malgré la hausse des coûts que nous constatons ici dans les épiceries, Paul affirme que la part du revenu disponible que les Canadiens consacrent à l’alimentation demeure relativement modeste. Cette affirmation peut en surprendre certains, mais c’est uniquement parce que nous avons toujours bénéficié d’un accès facile aux ressources, ce qui nous a habitués à une abondance relativement peu coûteuse.
En outre, Paul souligne que le Canada joue un rôle vital dans le système alimentaire mondial puisqu’il utilise ces ressources abondantes pour soutenir d’autres pays qui comptent sur notre aide. Il considère le Canada comme un carrefour potentiel qui est bien placé pour contribuer à résoudre la crise, et affirme que nous pouvons y parvenir en cherchant des moyens plus efficaces et plus durables de produire des aliments qui profiteront à la fois à notre pays et au reste du monde.
Cultiver la durabilité grâce à la gérance de l’environnement
Quelle est la différence entre gérance de l’environnement et durabilité? Paul est la bonne personne à qui poser la question. Les différents rôles de gérance qu’il a occupés lui ont permis d’acquérir une solide compréhension de l’interconnexion des technologies agricoles. Chaque innovation technologique donne lieu à un nouvel outil, chacun contribuant au développement durable. Et, pour clarifier les choses, la gérance de l’environnement repose sur la gestion de ces outils.
« Il s’agit d’une approche systémique », explique Paul, qui s’aligne sur le principe de la septième génération [en anglais seulement], un héritage des peuples autochtones selon lequel les décisions intelligentes et judicieuses prises aujourd’hui doivent se répercuter au moins sur les sept prochaines générations. « Il s’agit de s’assurer que les nouvelles technologies sont utilisées de manière responsable, pour le bien du public et des utilisateurs de ces technologies », résume-t-il.
Pour Paul, la durabilité est bien plus qu’un mot; c’est un engagement à utiliser les ressources de manière responsable. Par exemple, dans le cadre des efforts déployés par le Canada pour améliorer la durabilité des sols et du climat, la gestion prudente des engrais est essentielle.
Concilier la production et son impact sur l’environnement
Ces derniers mois, les engrais ont été sous les feux de la rampe, attirant l’attention sur le fragile équilibre entre responsabilité et prospérité. Témoin privilégié, Paul fait la lumière sur ce rapport complexe.
« D’abord, le gouvernement fédéral a lancé une initiative volontaire visant à trouver des moyens de réduire les émissions provenant des engrais. » Paul confirme que les engrais, en particulier les engrais azotés, sont à l’origine de gaz à effet de serre et convient qu’il faut trouver des moyens de réduire les pertes d’engrais dans l’environnement.
En contact direct avec les agriculteurs de l’Ontario, Paul sait qu’il s’agit d’un sujet qui leur tient tous à cœur. « Pour les agriculteurs, l’environnement est la pierre angulaire de leur entreprise familiale et l’un des trois piliers de la durabilité, en équilibre avec les besoins sociaux et économiques », dit-il.
Le défi consiste à réduire les émissions provenant des engrais tout en continuant à produire suffisamment de nourriture. Or, un apport réduit d’engrais signifie une production moins abondante; les moyens de subsistance des agriculteurs s’en trouvent directement diminués, tout comme leur capacité à nourrir le Canada et le monde. Cette menace a suscité de vives inquiétudes au sein de la communauté quant aux répercussions des changements de politique proposés.
En outre, la guerre en Ukraine a des répercussions sur la chaîne d’approvisionnement en engrais. D’emblée, Paul déclare que Grain Farmers of Ontario est contre la guerre et appuie l’Ukraine. Cependant, le fait est qu’un pourcentage élevé des engrais utilisés par les agriculteurs de l’Est du Canada est importé de Russie et de Biélorussie, et le gouvernement du Canada a décidé d’imposer des droits de douane élevés sur les engrais importés de ces deux pays. Paul note que le Canada est le seul pays du G7 à avoir imposé ces droits de douane à ses agriculteurs.
Il ajoute que l’Est du Canada ne produit pas suffisamment d’engrais pour répondre à ses propres besoins. Ainsi, les répercussions sur l’approvisionnement, conjuguées aux règlements imposés aux agriculteurs sur l’utilisation de leurs engrais, en plus des droits de douane élevés, ont suscité un grand malaise au sein du secteur.
« On craignait que la perte d’accès et les droits de douane élevés n’affectent la sécurité alimentaire nationale ainsi que notre capacité à contribuer à nourrir le monde à un moment où de très grands marchés céréaliers comme la Russie et l’Ukraine n’étaient pas en mesure de produire ou d’exporter vers des marchés essentiels », explique Paul.
« Les agriculteurs se demandaient comment produire les meilleures récoltes sur les terres agricoles existantes, de manière durable et en contribuant à nourrir le monde. Notre secteur était en proie à de grandes interrogations. »
Enrichir le sol pour nourrir la planète
Nous avons établi que les engrais jouent un rôle primordial dans la sécurité alimentaire. Mais pour bien comprendre l’impact de l’engrais sur notre système alimentaire, il faut revenir en arrière et commencer par le début.
« Tout d’abord, dit Paul, nous savons que les terres agricoles sont une ressource limitée, mais que la population mondiale ne cesse de croître. Il est donc important de veiller à ce que les agriculteurs puissent produire le plus grand nombre de cultures possible et devenir plus efficaces sur les terres dont ils disposent. » Première constatation clé : il est fondamental de maximiser le rendement des terres agricoles existantes (et en voie de disparition).
« Ensuite, la corrélation entre l’utilisation d’engrais et l’accroissement des rendements est bien documentée. Il est indéniable que sans accès aux engrais, nous ne serions pas en mesure d’obtenir la production alimentaire que nous avons aujourd’hui. » Deuxième constatation clé : plus on fertilise, plus les cultures sont productives.
Et même si, dans l’avenir, nous mettons au point de nouvelles biotechnologies des semences, Paul affirme que les nouvelles plantes améliorées auront besoin d’un supplément d’énergie pour produire davantage et obtenir un meilleur rendement. Troisième constatation clé : les engrais seront toujours un facteur essentiel de l’équation.
« En termes simples, les engrais sont et demeureront absolument essentiels à la sécurité alimentaire. Si nous n’y avions plus accès, nous régresserions. »
Assurer la santé des sols pour les générations à venir
Pour ceux et celles d’entre nous qui ne connaissent pas l’agriculture, Paul souligne que les agriculteurs considèrent leurs exploitations comme des entités qu’ils comptent transmettre aux générations suivantes. Les familles d’agriculteurs travaillent sans relâche pour gérer la santé de leurs sols dans le cadre d’une approche systémique, dont les engrais ne sont qu’un élément parmi d’autres.
« Les agriculteurs considèrent la santé des sols d’un point de vue global. Un sol sain est essentiel pour les générations futures d’agriculteurs. En fait, nombre d’entre eux ont adopté au fil du temps de meilleures pratiques agricoles très bénéfiques pour la santé des sols, comme l’utilisation de cultures de couverture et de méthodes de semis direct qui évitent de perturber le sol, et les taux d’utilisation des pesticides ont considérablement diminué au fil des ans. Les producteurs ont aussi trouvé des moyens d’optimiser et de gérer l’utilisation des engrais, afin de trouver la juste dose et de ne pas épandre plus d’engrais qu’il n’en faut. »
Il ne fait aucun doute que les sols et leur santé contribuent de manière décisive à l’atteinte d’un objectif à long terme en matière de pratiques agricoles durables, ainsi qu’à la production continue de cultures vivrières à haut rendement et de grande qualité.
Encourager la recherche et l’innovation
Paul souligne que l’adoption des pratiques de gestion des nutriments 4B (le bon produit, la bonne dose, au bon moment et au bon endroit) [site Web en anglais seulement] est en hausse et facilitée par l’utilisation de la technologie de l’agriculture de précision.
Les différents outils dont disposent les agriculteurs, de l’imagerie satellite aux drones en passant par les capteurs, facilitent la collecte de données et sont donc extrêmement précieux. En outre, les équipements automatisés permettent aux agriculteurs de mieux gérer leurs champs. Et Paul prévoit que l’intelligence artificielle (IA) aura bientôt un impact positif et passionnant sur l’agriculture.
De telles innovations sont le fruit de recherches approfondies, la boussole permanente qui oriente le progrès en agriculture, et GFO en est un ardent défenseur. Dans le but de donner suite aux priorités déterminées par les membres, Paul indique que GFO investit 1,85 million de dollars provenant des cotisations des agriculteurs dans la recherche. L’organisme cherche aussi des moyens de tirer parti de cet argent et de le faire fructifier au moyen de sources gouvernementales et industrielles, estimant qu’environ 7 à 8 millions de dollars sont consacrés chaque année à ces programmes de recherche.
GFO mène des enquêtes auprès de ses membres, puis ajuste ses axes d’intervention selon les priorités des agriculteurs. « Le processus de notre vaste programme de recherche [en anglais seulement] est une grande fierté pour GFO », dit Paul, qui a la chance de constater les progrès en cours. Les avancées notables en matière de technologie des engrais semblent prometteuses, comme les nouveaux enrobages, les inhibiteurs à libération lente et les nouveaux produits biologiques conçus pour stimuler l’absorption de l’azote par les plantes.
Le développement de ces technologies se poursuit en dehors des laboratoires stériles; en effet, l’innovation prend véritablement sa source dans les riches terres des exploitations agricoles et est stimulée par le travail pratique. « L’essai de nouvelles technologies à la ferme suppose de nombreux apprentissages et d’amples démonstrations », dit Paul. Selon lui, lorsque la technologie agricole est dirigée par les agriculteurs, puis défendue par les chercheurs, il en résulte un écosystème qui favorise l’innovation en Ontario, et Paul se réjouit de voir tout cela se mettre en place.
« Le Canada doit continuer à investir dans la recherche agricole, et il a la possibilité de devenir un chef de file mondial dans le domaine des sciences végétales, ce qui pourrait ouvrir de nouveaux domaines de travail et d’études pour les Canadiens et les étudiants de l’étranger. »
Découvrir les possibilités qui existent en agriculture
L’ampleur de l’industrie agricole canadienne est stupéfiante, son potentiel est illimité, et Paul en dresse un tableau saisissant. « Au printemps, lorsque les agriculteurs ensemencent leurs champs, c’est l’activité économique ponctuelle la plus importante du secteur privé au Canada. Aucune autre activité économique ne l’égale, où que ce soit. En Ontario, l’industrie agricole est chiffrée à 50 milliards de dollars et se renouvelle chaque année. » C’est donc un euphémisme de dire que le secteur agricole offre des possibilités illimitées.
Paul a établi que le système agricole contemporain est un système d’innovation de pointe (drones, robotique et satellites). Outre la technologie, ce secteur allie sciences de la vie, économie et sociologie. Selon lui, l’agriculture ontarienne est un exemple de réussite, de production locale et d’autonomisation communautaire, et, pour les entrepreneurs en herbe qui croient avoir trouvé la bonne solution, « l’agriculture est le domaine vers lequel se tourner ».
Aux entrepreneurs en quête de conseils, Paul suggère d’écouter les agriculteurs eux-mêmes pour comprendre leurs besoins : définissez un vrai problème, puis proposez une vraie solution. « Les agriculteurs se parlent entre eux et savent ce dont ils ont besoin », dit-il.
Que ferait Paul s’il avait une idée géniale ? Il trouverait des agriculteurs (au café, dans le quartier, dans la communauté), discuterait avec eux et les inviterait à évaluer la viabilité de son idée. La communication et la collaboration sont la clé.
S’unir pour les récoltes de demain
GFO est membre d’associations nationales comme Cereals Canada, le Conseil des grains du Canada [en anglais seulement] et Soy Canada. « Nous ne faisons rien en vase clos, dit Paul. Nous collaborons très étroitement avec ces organismes, ainsi qu’avec plusieurs associations locales de producteurs. Nous participons à la recherche, à la diffusion de messages et à différents projets. En fait, nous menons actuellement une initiative passionnante avec Ontario Corn Fed Beef et Beef Farmers of Ontario [les deux sites Web sont en anglais seulement] dans le but de faire connaître l’histoire extraordinaire de la durabilité du bœuf nourri au maïs de l’Ontario, et d’expliquer ce que cela signifie pour les producteurs de bovins de boucherie et de maïs. »
La collaboration est une priorité pour Paul, tout comme la recherche de nouveaux moyens de réinvestir dans sa communauté. Ayant lui-même été propriétaire d’entreprise, il a acquis un esprit d’initiative affirmé et, parallèlement à son intérêt de toujours pour la science, la technologie et l’agriculture, son partenariat avec Bioenterprise est tout à fait logique. « C’est une merveilleuse occasion d’aligner ma passion et mon but, de les associer et d’exploiter mes compétences pour apporter, je l’espère, de nouvelles solutions sur le marché », dit Paul.
Les idées de Paul éclairent la rencontre harmonieuse entre l’innovation, la durabilité et la responsabilité dans le domaine de la technologie agricole. Quant à l’avenir de l’agriculture au Canada, son optimisme contagieux est inébranlable. Il est convaincu que les Canadiens peuvent contribuer à résoudre la crise alimentaire mondiale ensemble – agriculteurs, chercheurs, consommateurs et décideurs politiques.
À travers le regard de Paul Hoekstra, nous assistons à l’évolution de l’histoire de l’agriculture – une histoire façonnée par les mains d’innombrables gardiens de la terre, soutenue par des technologies de pointe et propulsée par un engagement commun à nourrir le monde, grâce à la terre, des semis à la récolte.
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Au sujet de Grain Farmers of Ontario [en anglais seulement]
Grain Farmers of Ontario is the province’s largest commodity organization, representing Ontario’s 28,000 barley, corn, oat, soybean and wheat farmers.