Revenir à l’essentiel : améliorer le sol et créer des possibilités pour un système alimentaire sain

M. Lord Abbey, professeur agrégé au Département des sciences végétales, alimentaires et environnementales de l’Université Dalhousie et membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation (CCSI) de Bioenterprise, parle de la santé des sols, du compost et de la création de possibilités pour les immigrants canadiens qui s’intéressent à l’agriculture

Posted: Avr 19, 2024

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Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise

Dans l’évolution de l’agriculture canadienne, peu d’histoires sont aussi fascinantes que celle de M. Lord Abbey. Il a parcouru le monde, du Ghana au Canada, pour observer de près la diversité des paysages terrestres. Guidé par une curiosité insatiable, le parcours de M. Abbey est une quête incessante de connaissances et d’innovation, un exemple de résilience inébranlable ainsi qu’un engagement en faveur des partenariats et de la collaboration.

Dans les lignes qui suivent, en sa qualité de membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation (CCSI) [en anglais seulement] de Bioenterprise et de professeur agrégé au Département des sciences végétales, alimentaires et environnementales de l’Université Dalhousie [en anglais seulement], M. Abbey apporte un éclairage sur des sujets d’une grande portée qui lui tiennent à cœur.

La traversée des continents

M. Abbey est né et a grandi au Ghana. Son arrivée au Canada illustre le pouvoir transformateur de l’éducation et la volonté d’explorer l’inattendu. Doué en biologie, le jeune Lord se destinait d’abord à des études de médecine, et l’idée de devenir expert en agriculture ne faisait pas partie de ses aspirations. Bien au contraire.

En effet, si la pratique de l’agriculture est respectée dans de nombreuses régions du monde, elle est stigmatisée dans certains pays comme le Ghana, où une carrière en agriculture est associée à un travail ingrat et éreintant. D’ailleurs, les travaux au jardin servent souvent de punition en cas de mauvais comportement, et M. Abbey se souvient très bien de l’effet négatif que cela a eu sur lui et sur d’autres enfants de son école. Mais malgré sa réticence, cette perspective a commencé à évoluer de manière inattendue.

Le père de M. Abbey, qui était comptable et agriculteur à temps partiel, reconnaissait l’importance de l’agriculture et des aliments. Comme s’il voyait l’avenir, il savait que le domaine de l’agriculture ouvrirait des portes à son fils et l’a donc encouragé à s’engager sérieusement dans cette voie. Grâce à ce soutien, le jeune Lord a été admis à la Faculté d’agriculture de l’Université du Ghana [en anglais seulement]. Comme il était le premier membre de sa famille à fréquenter l’université, ce moment fut une source de fierté pour tous.

Comme l’avait prévu son père, M. Abbey a commencé à se passionner pour l’agriculture. Poussé par sa nouvelle passion, il a excellé dans ses études et a obtenu son diplôme avec mention. Ses résultats universitaires lui ont valu une bourse d’études à l’Imperial College of Wye de l’Université de Londres, au Royaume-Uni, où il a obtenu sa maîtrise. Peu après, il a obtenu la prestigieuse bourse du Commonwealth qui lui a permis d’effectuer son doctorat à la Cranfield University [en anglais seulement], au Royaume-Uni.

Après ses études, M. Abbey a assisté à une conférence à Toronto en 2001. Inspiré par la ville, les gens et l’accueil chaleureux qu’il a reçu, il a décidé de s’installer au Canada. En 2007, sa carrière a pris un tournant inespéré. Afin d’élargir ses possibilités d’emploi, il a obtenu un diplôme de troisième cycle en recherche et développement pharmaceutiques au Toronto Institute of Pharmaceutical Technology. Le jour même où il a passé un entretien pour un poste dans le domaine pharmaceutique, on lui a aussi proposé un poste en agriculture.

Reconnaissant sa véritable vocation, il a choisi le domaine qui avait inopinément conquis son cœur. C’est ainsi que M. Abbey a accepté le poste à l’organisme The Stop Community Food Centre [en anglais seulement] de Toronto en 2008, où il a participé à la mise sur pied d’une serre communautaire et d’un programme éducatif sur l’agriculture urbaine. Trois ans plus tard, il a déménagé à Brandon, au Manitoba. Il a occupé un poste d’enseignant et de chercheur au Assiniboine Community College [en anglais seulement], où il a créé un nouveau programme d’horticulture.

Le succès de ce programme lui a ouvert la porte, en 2015, à un poste de professeur agrégé d’horticulture d’agrément à l’Université Dalhousie, où il enseigne depuis.

Au-delà de l’agrément

La pratique de l’horticulture d’agrément porte sur la culture et l’entretien des plantes pour l’amélioration esthétique, environnementale et récréative des paysages comme les parcs, les jardins et les espaces publics.

À l’Université Dalhousie, le travail de M. Abbey dépasse les limites traditionnelles de l’horticulture d’agrément. « Je me considère comme un horticulteur, mais le terme “horticulture d’agrément” ne décrit pas exactement le type de travail que je fais », dit-il.

Comme il s’intéresse à des domaines ayant des répercussions profondes sur l’agriculture durable et la sécurité alimentaire mondiale, M. Abbey s’identifie plus étroitement au domaine global de l’horticulture. Il enseigne notamment les principes de l’horticulture biologique, l’agriculture en milieu contrôlé, la thérapie horticole et les cultures spéciales, ainsi que des modules d’études supérieures en sciences de l’environnement. Il dirige également un solide programme de recherche à l’Université Dalhousie, qui attire dans son laboratoire des étudiants de premier cycle, des diplômés, des stagiaires et des boursiers postdoctoraux venant d’aussi loin que la Barbade, la Chine, l’Éthiopie, le Ghana, l’Inde, l’Iran, la Jamaïque, le Kenya, le Mexique, le Nigéria et le Sri Lanka.

Au-delà du monde universitaire, l’engagement de M. Abbey à faire avancer l’agriculture mondiale est évident. Membre de la Faculté d’agriculture [en anglais seulement], il participe à divers programmes de recherche et d’enseignement dans des établissements internationaux comme le St. Francis University College of Health and Allied Sciences [en anglais seulement] en Tanzanie, au programme Compétences pour accéder à l’économie verte (SAGE) à Sainte-Lucie, et au Uganda Skills Development Project (USDP) [en anglais seulement]. En 2023, l’Université Dalhousie a récompensé le travail de M. Abbey en lui décernant le Prix d’excellence en internationalisation (Achievement in Internationalization Award).

Ambassadeur agricole
L’approche globale de M. Abbey à l’égard de l’horticulture et de l’agriculture repose sur sa volonté d’encourager le partage de connaissances et l’innovation à l’échelle mondiale, ce qui témoigne de l’influence considérable de son travail en dehors de la salle de classe.

Ses nombreux voyages l’amènent à parcourir le monde entier et à collaborer à des programmes de recherche et d’enseignement axés sur la sécurité alimentaire et l’enseignement de l’agriculture. Ces voyages lui permettent de partager son expertise, de tirer des enseignements de diverses pratiques agricoles et de favoriser les partenariats internationaux qui améliorent les connaissances et les compétences du milieu agricole international.

Réfléchissant au rôle essentiel que jouent les voyages dans son travail, M. Abbey énumère les endroits où il s’est rendu et ceux où il prévoit d’aller, et reconnaît avec humour qu’il est rarement chez lui. « Oui, je voyage beaucoup, mais j’adore rencontrer de nouvelles personnes et discuter avec les gens partout où je vais. »

M. Abbey est un homme « en mouvement » et sa passion pour les voyages est une composante essentielle de sa vie professionnelle, qui lui permet d’être un ambassadeur mondial de l’horticulture et de l’agriculture durable. Par son travail, M. Abbey illustre l’impact profond que le dévouement et la collaboration mondiale peuvent avoir sur la résolution de certains des défis les plus urgents en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire.

Composer avec le chaos

M. Abbey exprime une vision nuancée de l’avenir de l’alimentation au Canada et dans le monde, en soulignant les défis à multiples facettes qui menacent notre système alimentaire. Il souligne que la situation est complexe, dans la mesure où le changement climatique, les conséquences de la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine perturbent considérablement la production alimentaire et les exploitations agricoles.

« La situation est très chaotique en ce moment. Les répercussions de la pénurie de main-d’œuvre et les conséquences globales du changement climatique, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes comme le gel, la sécheresse et les inondations, ont entraîné une baisse des rendements agricoles ainsi que des fermetures d’exploitations au Canada et dans le monde entier », dit M. Abbey.

De plus, il soulève des inquiétudes au sujet de l’impact de ces défis sur la qualité des aliments. Il explique que certaines conditions environnementales peuvent favoriser l’épanouissement des plantes, ce qui peut sembler positif, mais est en réalité trompeur. Si l’énergie est mal canalisée dans une plante, la valeur nutritionnelle des aliments qu’elle produit est compromise. Ce déséquilibre, souligne-t-il, affecte non seulement la quantité mais aussi la qualité de la nourriture, ce qui a des répercussions importantes sur la santé et la nutrition. « Mes études montrent que c’est la qualité des aliments que nous consommons qui est la plus touchée. » 

M. Abbey souligne qu’il est essentiel de relever les défis multiples que représentent la sécurité alimentaire et la préservation de la qualité des aliments face aux changements environnementaux et socio-économiques. Ses connaissances et son expertise jettent les bases de l’exploration d’approches novatrices en matière d’agriculture durable qui permettraient de relever ces défis de front.

Revenir aux principes fondamentaux du sol

Compte tenu de l’accélération rapide de l’innovation en agriculture, il peut être tentant de placer l’avenir de notre système alimentaire uniquement entre les mains de la technologie. En tant que spécialiste du compostage pour l’amélioration de la santé des sols, M. Abbey plaide avec passion pour un retour aux pratiques agricoles fondamentales. Soulignant l’importance cruciale de relever les défis de la santé des sols et de la sécurité alimentaire, il affirme que nous devons revenir à l’essentiel.

Lors d’une allocution récente au cinquième Congrès horticole panafricain [en anglais seulement], il a fait remarquer que l’on misait largement sur les technologies de pointe pour lutter contre la pauvreté des sols et les problèmes de sécheresse, et que les discussions sur l’amélioration de la fertilité des sols par des méthodes traditionnelles comme le compostage avaient été largement négligées. Alors que de nombreux conférenciers vantaient les technologies avancées, M. Abbey s’est distingué en préconisant un virage vers des pratiques de base, mais profondément percutantes, qui favorisent la santé des sols et, par conséquent, la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Soulignant le décalage entre les priorités actuelles en matière de recherche et les besoins fondamentaux de l’agriculture, M. Abbey affirme que parmi les centaines d’orateurs présents au congrès, il a été le seul à parler du compost. Il estime que nous devrions donner la priorité à la santé des sols grâce au compostage, étape fondamentale vers une agriculture durable, en particulier dans les régions gravement touchées par la sécheresse et l’infertilité des sols.

En préconisant un « retour à l’essentiel », M. Abbey plaide pour l’intégration des connaissances et des pratiques traditionnelles dans les stratégies agricoles modernes, dans le but d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle par la restauration de la vitalité des sols.

La solution toute simple du compost

L’agriculture moderne est confrontée à un ensemble complexe de défis, et selon M. Abbey, l’utilisation du compost améliorera la qualité des sols et, par extension, la résistance et la productivité des cultures. Mais qu’est-ce que le compost exactement, et la solution peut-elle être aussi simple qu’elle en a l’air?

Le compost est un mélange de matières organiques décomposées, comme les feuilles, les restes de légumes et le fumier, qui se transforme en une matière riche et terreuse à mesure qu’il se décompose. L’ajout de compost au sol permet d’en améliorer la qualité, ce qui favorise la croissance des plantes en apportant des nutriments et en améliorant la structure du sol. « Le compost est un élément vital pour la constitution de la matière organique active du sol, qui est essentielle au maintien de la santé et de la fertilité du sol. Il améliore l’ensemble de l’écosystème », dit M. Abbey.

La production de compost est relativement facile et peut être incorporée aux systèmes de recyclage des sous-produits agricoles. Bien que cela paraisse assez simple, M. Abbey souligne que si l’industrie agricole s’est fortement orientée vers les biostimulants pour améliorer les cultures, l’aspect fondamental de l’amélioration de la santé des sols grâce au compost a été considérablement négligé. « Il en faut peu pour être efficace », ajoute-t-il.

En s’appuyant sur les résultats d’une étude de cinq ans [en anglais seulement] menée dans son laboratoire et parrainée par le Conseil canadien du compost, M. Abbey et son équipe de recherche ont démontré que même des apports minimes de compost pouvaient avoir des effets bénéfiques considérables sur la santé du sol au fil du temps, en améliorant la croissance des plantes et la qualité du sol.

« Nous ne parlons pas beaucoup du compost – des avantages que le compost peut procurer. Et c’est bien triste. Nous devrions en parler beaucoup plus », plaide M. Abbey avec passion. « Nous devrions intégrer le compost aux pratiques agricoles traditionnelles afin d’améliorer la matière organique et la santé générale du sol, parallèlement à l’utilisation de biostimulants. »

En misant sur la santé des sols grâce au compostage, M. Abbey pense que nous pouvons tendre vers un avenir où l’utilisation de pratiques agricoles durables permettrait d’atténuer certains des problèmes urgents auxquels est confrontée l’agriculture et plus particulièrement le secteur de l’horticulture.

Regard vers l’avenir

Grâce à ses nombreux voyages et à ses interactions internationales, M. Abbey a une vue d’ensemble des systèmes alimentaires dans d’autres pays et dans le monde entier. Conscient de la complexité des problèmes, il prévoit une période d’insécurité alimentaire croissante et généralisée. « Dernièrement, j’ai constaté que les étudiants et d’autres personnes de mon entourage avaient de plus en plus recours aux banques alimentaires, dit-il. Ce phénomène atteint un niveau que je n’avais jamais vu auparavant. Nous ressentons tous le poids de ces problèmes. »

Les défis interdépendants de l’immigration, de la pénurie d’emplois, de l’augmentation du prix des loyers et de l’insuffisance du soutien des banques alimentaires brossent un tableau sombre de l’avenir immédiat. « Malheureusement, je pense que la situation va continuer à s’aggraver, peut-être pendant un certain temps, jusqu’à ce que des politiques susceptibles d’améliorer les choses soient mises en place », ajoute-t-il.

M. Abbey attire l’attention sur le besoin urgent d’interventions politiques globales et de stabilisation économique pour résoudre la crise multiforme de l’insécurité alimentaire. Il croit également que pour construire un système alimentaire plus résilient, nous devrons créer des possibilités au moyen d’une collaboration stratégique croisée afin de relever les défis qui nous attendent.

Cultiver la collaboration et les possibilités

Alors que nous explorons les solutions potentielles à ces défis, l’importance de la collaboration croisée et de la création de possibilités pour les immigrants qui s’intéressent à l’agriculture au Canada apparaît évidente.

« Il existe un potentiel inexploité chez les immigrants issus du milieu agricole, dont beaucoup ont des compétences et une expérience précieuses à partager », dit M. Abbey. Il souligne que ces personnes, habituées à des conditions plus difficiles et au travail manuel, pourraient s’épanouir dans le milieu agricole canadien si les ressources, les incitations et les systèmes de soutien adéquats étaient en place.

« En ayant accès à des ressources comme les terres, l’équipement et les bonnes semences, de nombreux agriculteurs immigrés dépasseraient de loin les attentes et représenteraient un avantage énorme pour l’agriculture au Canada », estime M. Abbey, qui souligne l’impact transformateur que les ressources de soutien peuvent avoir en permettant aux immigrants de pratiquer l’agriculture au Canada, non seulement dans leur intérêt, mais aussi dans le cadre d’une stratégie vitale visant à rajeunir le secteur agricole canadien et à remédier aux pénuries de main-d’œuvre.

Pour ce qui est de l’avenir, la possibilité pour le Canada de veiller à la formation en agriculture des immigrants – qui pourraient ensuite appliquer ces connaissances à l’échelle locale et mondiale – crée d’excellents moyens de lutter contre l’insécurité alimentaire à grande échelle. Cette approche serait non seulement avantageuse pour le Canada, mais elle contribuerait aussi à atténuer les problèmes d’insécurité alimentaire dans le monde, incarnant ainsi une vision à la fois ambitieuse et percutante.

Le parcours unique de M. Lord Abbey, d’aspirant médecin au Ghana à une figure active et influente de l’horticulture et de l’agriculture canadiennes, est un récit remarquable de transformation et de dévouement. Son travail transcende les pratiques agricoles traditionnelles, en plaidant pour la santé des sols et la réorientation des politiques afin de soutenir une main-d’œuvre agricole diversifiée et multiculturelle, ainsi que l’échange de connaissances en toute transparence.

En encourageant le compostage et l’utilisation du compost, en menant des recherches novatrices et en se passionnant pour l’enseignement et la collaboration internationale, non seulement M. Abbey s’attaque-t-il aux défis pressants de la sécurité alimentaire et de l’agriculture durable, mais il inspire également une nouvelle génération de dirigeants dans la perspective d’un avenir où l’agriculture est à la fois une science et un pont entre les cultures, les générations et les nations.


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