Le paradoxe des déchets agricoles : un casse-tête à résoudre pour créer une bioéconomie circulaire

David Bressler, doyen associé à la recherche du CNAS, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture, de la vie et de l’environnement de l’Université de l’Alberta et membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation de Bioenterprise, s’emploie à allier énergie, alimentation et agriculture, foresterie, carburéacteur et déchets.

Posted: Nov 14, 2023

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David Bressler, doyen associé à la recherche du CNAS, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture, de la vie et de l’environnement de l’Université de l’Alberta et membre du Comité consultatif sur la science et l’innovation de Bioenterprise, s’emploie à allier énergie, alimentation et agriculture, foresterie, carburéacteur et déchets.

Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise

À première vue, le travail de M. David Bressler peut sembler décousu et chaotique, comme un casse-tête de 10 000 pièces qui serait éparpillé sur le sol. Mais dans le domaine du bioraffinage et de l’énergie durable, ce passionné d’énigmes a le don de résoudre ces casse-tête complexes comme un jeu d’enfant.

Au-delà de cet aspect ludique, sa motivation est inébranlable et sérieuse, et son objectif est de mettre en place une économie circulaire reposant sur des processus durables de traitement des déchets, de manière à éviter leur incinération ou leur enfouissement et à créer de la valeur pour tous les acteurs des équipes concernées, du début à la fin.

Dans sa mission visant à résoudre d’importants problèmes environnementaux, M. Bressler assemble les pièces du puzzle en s’appuyant à la fois sur la découverte et les sciences appliquées. Dans les lignes qui suivent, ce membre respecté du Comité consultatif sur la science et l’innovation (CCSI) [en anglais seulement] de Bioenterprise partage son expérience du milieu universitaire, de l’industrie et du gouvernement.

Virage à gauche à Edmonton

L’histoire de M. Bressler commence au croisement de l’énergie et de l’agriculture, dans le Nord de l’Alberta, où se trouvent les sables bitumineux de l’Athabasca [en anglais seulement] et l’épicentre de l’industrie bovine canadienne, connu pour sa riche histoire pétrolière et agricole.

En quittant sa ville natale de Grande Prairie pour Edmonton, M. Bressler se destinait à la prémédecine, mais le lien qui l’unissait à ses racines s’est avéré très fort et l’a amené à se tourner plutôt vers la microbiologie industrielle. En fin de compte, il a obtenu un baccalauréat ès sciences avec spécialisation en biologie cellulaire de l’Université de l’Alberta [en anglais seulement], suivi d’un doctorat en microbiologie et biotechnologie.

Pendant ses deux années à titre de directeur de recherche à l’Université de l’Alberta, M. Bressler a enseigné le génie chimique et le génie des matériaux tout en travaillant en tandem avec Syncrude Research [en anglais seulement], avant de devenir doyen associé à la recherche à la Faculté des sciences de l’agriculture, de la vie et de l’environnement [en anglais seulement] de 2019 à 2022. Il remplit actuellement un mandat de trois ans à titre de doyen associé à la recherche sur les STIM au College of Natural and Applied Sciences (CNAS) de l’Université de l’Alberta [en anglais seulement].

Dans son rôle au Biorefining Conversions and Fermentation Laboratory (le Laboratoire Bressler) [en anglais seulement], M. Bressler concilie ses passions en élaborant des programmes qui permettent à son équipe de naviguer entre différentes disciplines, de relever divers défis industriels, de déchiffrer des énigmes et de favoriser les possibilités d’apprentissage et de croissance pour tous.

La science au service d’une économie circulaire
Les processus de production agricole et alimentaire génèrent souvent des sous-produits inutilisables, ou déchets. Au laboratoire qui porte son nom, M. Bressler et son équipe étudient des moyens de transformer ces sous-produits agricoles et forestiers courants en produits chimiques, en carburants et en d’autres produits de valeur. Pour ce faire, ils se concentrent sur la découverte de nouvelles méthodes tout en améliorant les méthodes existantes. L’objectif? Créer des possibilités en matière d’économie circulaire.

En définitive, leurs travaux visent à déterminer comment maximiser la valeur de ces sous-produits et assurer un rendement économique aux producteurs. Pour répondre à cette question, les recherches intègrent différents domaines scientifiques et s’appuient sur des techniques développées en biologie, en chimie et en thermodynamique.

« Nous nous intéressons aux sous-produits de faible valeur issus de l’agriculture et de la foresterie, et nous nous efforçons de les améliorer ou de les transformer Â», explique M. Bressler. Pour diversifier les recherches, il utilise une stratégie qui a fait ses preuves : diviser pour mieux régner.

Ainsi, l’équipe composée de 25 membres [en anglais seulement] est divisée en trois groupes. L’un d’eux se concentre sur la conversion des huiles et des graisses en hydrocarbures et en solvants, un autre travaille sur les déchets protéiques provenant de l’industrie de l’équarrissage, et le dernier se concentre sur la fermentation pour produire des produits chimiques spécialisés destinés à des applications commerciales.

Leurs projets vont de la mise au point de carburants renouvelables et de biomatériaux de haute performance à l’élaboration d’autres solutions vertes et à faibles émissions de carbone. Récemment, l’équipe a commencé à s’intéresser à l’industrie de l’aviation commerciale. « Nous menons plusieurs activités, mais les recherches sur le carburéacteur sont de loin la plus importante Â», affirme M. Bressler.

Écologiser l’industrie de l’aviation

Ces derniers temps, les organismes internationaux de réglementation pressent le secteur de l’aviation de satisfaire aux normes mondiales en matière de réduction des émissions. Dans ce contexte, le carburéacteur est une priorité pour des chercheurs comme M. Bressler étant donné qu’il représente une part importante des émissions globales de CO2.

Au Laboratoire Bressler, on s’attaque activement à cet enjeu. « Au cours des quatre dernières années, nous avons décroché 7,2 millions de dollars de subventions, mis sur pied une grande équipe et réuni de nombreux collaborateurs qui soutiennent notre infrastructure Â», exlique M. Bressler. Le laboratoire s’est associé à CanmetÉNERGIE[SC1]  à Devon, en Alberta, pour développer des catalyseurs, en apportant du soutien sous forme d’analyses et de tests effectués par des tiers externes.

Les biocarburants représentent une solution de rechange écologique qui réduit l’empreinte carbone des voyages aériens. Et, alors que les combustibles fossiles sont une ressource limitée, les biocarburants constituent une source d’énergie renouvelable, promettant un approvisionnement durable et potentiellement plus régulier en carburant pour le secteur de l’aviation. Il est aussi important de souligner que les matières premières utilisées dans les processus de production de biocarburants ne sont pas détournées des ressources primaires destinées à l’alimentation humaine ou animale; autrement dit, il ne s’agit pas de « déshabiller Pierre pour habiller Paul Â».

Éviter le jeu à somme nulle            

Certains détracteurs estiment que notre quête de nouveaux carburants pourrait créer un paradoxe, mettant en péril nos précieuses industries alimentaires et forestières. M. Bressler n’est pas de cet avis. Selon lui, l’idée d’utiliser des composants alimentaires de première qualité pour des applications industrielles est illogique.

« Dans nos projets de carburants renouvelables, nous misons sur des produits de faible valeur comme les graisses brunes, ainsi que sur la conversion du méthanol issu de la pyrolyse des déchets. Nous tâchons d’utiliser la cellulose provenant des résidus d’arbres et de plantes et, à terme, nous souhaitons utiliser des algues oléagineuses et des levures capables de fermenter les sucres en graisses et en huiles Â», explique M. Bressler. Essentiellement, les nouveaux systèmes produiront délibérément des déchets qui seront utilisés pour la production de carburant.

Il ajoute que pour des secteurs comme l’aviation, les biocarburants restent la seule solution viable pour les deux à trois prochaines décennies. Pour satisfaire à la demande, il faudra trouver des solutions à haut volume à partir de nouvelles matières premières. « Le débat sur l’opposition entre production alimentaire et fabrication de carburant donne lieu à des études sur l’impact de l’énergie sur l’agriculture, faisant grimper les prix des denrées alimentaires et les coûts de stockage. Or, nous n’avons pas l’intention de rivaliser pour mettre la main sur des ressources comme l’huile de canola ou l’huile de palme, car elles n’offrent pas de solutions viables à long terme Â», explique M. Bressler.

S’il est conscient de ces préoccupations, le chercheur souligne que ce ne sont pas elles qui font obstacle au progrès; le plus grand obstacle est plutôt le temps.

Course contre la montre
À la lumière des récentes avancées technologiques, on oublie facilement qu’un changement systémique d’envergure ne se produit pas du jour au lendemain. « Dans le secteur pétrochimique, il a fallu un siècle pour optimiser et mobiliser les sources de valeur que nous connaissons aujourd’hui. L’intégration des biocarburants aux solutions courantes prendra au moins de 20 à 25 ans Â», fait valoir M. Bressler.

Nous en sommes à environ 10 à 15 ans, et s’il est vrai que l’éthanol est de plus en plus accepté par le grand public, nous atteignons tout juste un point où les plateformes peuvent avoir un impact à partir du travail de base qui a été effectué.

« Malheureusement, comme les cycles gouvernementaux durent de trois à cinq ans, les nouveaux programmes sont souvent lancés lorsqu’un enjeu est sur toutes les lèvres, ce qui crée des attentes irréalistes quant à la mise en place d’une industrie entière en l’espace d’un seul cycle électoral. Cela ne tient pas la route — ni en agriculture, ni dans le secteur de la transformation. Un développement aussi rapide n’est pas réaliste, et la réussite de ce genre de programme nécessite des campagnes échelonnées sur plusieurs décennies. Â»

Lorsqu’on parle de changement à l’échelle des gouvernements et des systèmes, il faut aborder un autre sujet important : le financement.

Mettre les chances de votre côté

Le financement, qu’il provienne du secteur privé ou du gouvernement, est crucial pour la recherche innovante. L’argent permet à la magie d’opérer, mais son allocation soulève des questions. Comme l’argent est-il distribué? Comment un chercheur peut-il déterminer une voie solide? Selon M. Bressler, le succès dépend de la capacité à s’aligner sur les bonnes tendances au moment opportun.

Parfois, la chance intervient; par exemple, quand la COVID a frappé, toute la planète s’est mobilisée pour financer le développement des vaccins. Par ailleurs, le fait de renforcer votre aptitude à la communication et de rester à l’affût des mots à la mode et des tendances émergentes peut augmenter vos chances. « Si vous Å“uvrez dans un domaine qui retient l’attention de la société, c’est facile; mais si vous travaillez dans un domaine obscur dont le gouvernement et l’industrie ont du mal à comprendre les avantages, il vous incombe de l’expliquer, de l’articuler et de susciter l’adhésion. Et si vous échouez, vous risquez de demeurer confinés dans une sphère marginale. Â»

Certains chercheurs obtiennent un financement initial et s’installent dans un créneau confortable pendant quelques années, mais finissent par se trouver défavorisés lorsque le financement se tarit. Ces situations peuvent être paralysantes pour certains, mais grâce à sa capacité d’adaptation, M. Bressler et son équipe sont capables de rester agiles. Le chercheur ne craint pas le changement et est toujours prêt à faire volte-face. « Je pense que le travail interdisciplinaire peut débloquer des possibilités de financement à partir de plusieurs sources. Et si l’on est sensible aux différents besoins de l’industrie et qu’on y répond avec des données scientifiques de qualité, on se trouve avantagé. Â»

M. Bressler ajoute que, quelles que soient les tendances et contrairement à certaines croyances, l’industrie et le gouvernement sont avides des meilleures données scientifiques. Il a stratégiquement préparé son laboratoire à la réussite en fournissant des systèmes de conception et de contrôle fiables et robustes pour générer des données solides, ainsi qu’en diversifiant sa technologie et en offrant différentes possibilités.

L’évolution de la technologie

Le Laboratoire Bressler est équipé pour déployer une gamme d’outils tels que la fermentation, les enzymes, la chimie des radicaux libres à haute température et la chimie catalytique. Cette polyvalence permet aux chercheurs d’aborder les problèmes de manière créative sous différents angles. Ils tirent également parti de la puissance de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage automatique.

M. Bressler prend du recul pour considérer la vitesse fulgurante à laquelle ces innovations ont évolué. « Au cours de ma vie d’universitaire, nous parlions de la révolution industrielle, des micropuces et de la loi de Moore, ainsi que de la croissance phénoménale de l’industrie des technologies de l’information; ces derniers temps, nous parlons de la manière dont la puissance du traitement informatique donne lieu à de nouvelles technologies. Aujourd’hui, nous pouvons travailler à l’échelle nanométrique et manipuler la matière à un niveau quantique; nous avons la capacité de comprendre et de traiter les données. Avec l’apprentissage automatique et les récents progrès de la génétique, nous ne faisons qu’effleurer ce qui nous attend. La vitesse à laquelle certains de ces travaux sont réalisés aujourd’hui était inimaginable lorsque j’étais étudiant diplômé! Â»

L’avènement de l’apprentissage automatique améliore incontestablement l’analyse des données dans les sciences de la vie. Avec l’intégration de l’agriculture, des systèmes alimentaires et de la foresterie, nous assisterons bientôt à la conception efficace et intelligente de nouveaux systèmes de biomasse complets qui intégreront toutes les parties mobiles à la fois. M. Bressler constate déjà régulièrement l’évolution du traitement informatique par le biais de son travail collaboratif.

Séparer les enjeux

M. Bressler et son équipe recherchent des solutions pratiques pour réduire l’empreinte carbone dans des secteurs ciblés, en se concentrant sur des applications évolutives présentant un potentiel commercial intéressant. Et il insiste sur le fait que ces applications dépendent de partenariats sains.

« La collaboration n’est pas facultative. On peut accomplir de grandes choses seul, mais la participation de plusieurs intervenants favorise un sentiment de propriété commune, et c’est ce qui stimule la créativité. Dans le monde des affaires, de l’industrie ou de l’enseignement, le progrès découle des relations interpersonnelles fondées sur la confiance. La confiance mutuelle permet de réaliser de grandes choses Â», ajoute-t-il.

M. Bressler explique que les parties prenantes mettent à contribution des compétences différentes, ce qui permet aux projets de rester dynamiques et de progresser grâce à l’apport de divers experts et à leurs points de vue précieux. Au fil des ans, il a pris part à différentes collaborations, notamment avec le Biomass Energy Network (BEN) [en anglais seulement] et le Biorefining Conversions Network (BCN) [en anglais seulement], qui regroupent les meilleurs cerveaux de tous les secteurs concernés.

Des partenaires du secteur privé comme Novozymes [en anglais seulement] et Sanimax ont efficacement tiré parti de la R et D issue de ces groupes de réflexion, et de nouvelles entités ont directement émergé de leurs innovations. Grâce au soutien apporté par des investisseurs comme Shell Ventures [en anglais seulement] et Lockheed Martin [en anglais seulement], l’entreprise FORGE Hydrocarbons [en anglais seulement] présente la technologie révolutionnaire de raffinage de la biomasse de M. Bressler, qui permet de transformer avec succès les huiles et les graisses en essence et en carburants diesel à indice d’octane élevé.

En plus d’enrichir les connaissances et de renforcer l’expertise, les collaborations ouvrent également la voie à des possibilités de financement. First Green Partners, organisme pour lequel M. Bressler a travaillé pendant trois ans, en est un bon exemple. Cette société américaine d’investissement en capital-risque dans les entreprises de prédémarrage, chiffrée à 350 millions de dollars, offre un soutien ciblé aux entreprises commercialisant des technologies vertes.

La philosophie de M. Bressler et ses idées brillantes en matière de réseautage profitent directement aux entrepreneurs et aux étudiants qui aspirent à travailler dans les secteurs de la bio-industrie et de l’agrotechnologie.

Inspirer les grands esprits de demain

M. Bressler offre de nombreux conseils pour aider les futurs étudiants à trouver leur voie dans le milieu universitaire. Préconisant une approche proactive et pratique, il invite les étudiants à faire preuve de diligence, à communiquer et à tisser des liens avec des professeurs et des professionnels de leur domaine. Il insiste sur le fait que les professeurs sont accessibles et prêts à aider les étudiants qui manifestent un intérêt sincère. « Si vous ne demandez rien, vous n’obtiendrez rien, alors osez demander Â», conseille-t-il, en encourageant les étudiants à prendre des risques, à rester humbles et à poursuivre leurs passions.

Pour les entrepreneurs en herbe, M. Bressler souligne l’abondance des possibilités et des programmes offerts au Canada. Il recommande vivement aux jeunes ingénieurs, scientifiques et professionnels de nouer des relations de manière proactive, soit directement avec des entreprises, soit par l’intermédiaire d’organismes de développement comme Bioenterprise, qui offre aux jeunes innovateurs une plateforme leur permettant d’accéder aux réseaux industriels et aux possibilités de financement qu’ils recherchent.

Le chemin vers la durabilité comporte encore de nombreux défis à relever et des lacunes à combler. Il s’agit d’un effort collectif qui requiert l’ingéniosité et la détermination que manifeste M. Bressler.

Des terres fertiles et accidentées du Nord de l’Alberta à son laboratoire, un centre de recherche et de technologie en pleine effervescence, ce chercheur s’est forgé une carrière impressionnante. Ses réalisations remarquables sont à l’image de sa mission, alimentée par une curiosité insatiable et un engagement inébranlable à créer des changements positifs. L’impact de son travail se fait sentir dans sa communauté de l’Alberta, dans tout le Canada et dans le monde entier. Pourtant, le parcours de M. Bressler, une mosaïque de 10 000 pièces, n’est pas encore achevé — l’image complète n’a pas encore été révélée.

Tout en continuant à tracer la voie vers une bioéconomie circulaire fructueuse, M. Bressler nous invite tous à imaginer de grandes choses, à résoudre des problèmes avec audace et à travailler en collaboration, avec passion et détermination, pour atteindre de grands objectifs. Ensemble, nous pouvons continuer à rechercher des solutions pour un avenir durable, en garantissant l’innovation et la résilience pour les générations à venir.

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