Le dilemme des déchets d’origine agricole : créer une économie circulaire grâce à des solutions technologiques propres et durables


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Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise Canada

Le plastique s’est immiscé dans presque tous les aspects de l’agriculture moderne, des plateaux de semis aux films de serre en passant par les contenants pour petits fruits qui semblent inoffensifs. Nous dépendons de la polyvalence et du faible coût du plastique, mais cette commodité a un prix environnemental élevé, laissant nos sols encore plus pollués que nos océans. Lorsque les déchets plastiques s’accumulent dans les champs, les décharges ou les incinérateurs, ils laissent derrière eux une contamination qui peut prendre des siècles à se résorber.

Le passage du plastique à des solutions durables s’avère complexe et est retardé par des obstacles économiques, réglementaires et même sociaux. Que pouvons-nous faire pour surmonter ces obstacles et adopter des solutions plus durables?

Mme Love-Ese Chile, Ph. D., chercheuse primée et entrepreneuse passionnée par l’innovation durable, se joint à la conversation. Titulaire d’un baccalauréat ès sciences (avec mention) de l’Université d’Auckland [en anglais seulement] et d’un doctorat en chimie de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) [en anglais seulement], Mme Chile consacre sa carrière à combler le fossé entre la recherche et la commercialisation dans le domaine de la bioéconomie.

Fondatrice de Regenerative Waste Labs, Mme Chile a dirigé des projets d’avant-garde sur les biomatériaux de pointe et gère aujourd’hui le BC Agricultural Climate Action Research Network [en anglais seulement]. Lauréate de plusieurs distinctions, dont le prix Emerging Leader Award 2024 de Clean50 [en anglais seulement] et le prix Chemistry Young Alumnus Award 2023 de l’UBC, elle est aussi conseillère en innovation à Bioenterprise Canada.

Les travaux de Mme Chile visent à créer un pont entre la recherche scientifique et la commercialisation afin de mettre au point des biomatériaux, de faire progresser la politique d’adaptation au climat et de renforcer la bioéconomie circulaire. Sa mission est claire : réunir divers intervenants pour cocréer un avenir plus vert et équitable.

Dans les lignes qui suivent, nous explorons des sujets clés qui façonnent l’avenir de la durabilité dans le secteur agroalimentaire canadien. Nous aborderons deux questions cruciales : ces nouvelles solutions biodégradables et circulaires peuvent-elles être compétitives sur le plan des coûts, et comment le secteur peut-il surmonter les obstacles à la commercialisation et à l’adoption de ces solutions?

Le problème du plastique dans le secteur agroalimentaire

Le plastique est depuis longtemps indispensable à l’agriculture, mais son élimination constitue un problème majeur. Les déchets plastiques d’origine agricole comprennent généralement le paillis plastique, les abris de serre, les contenants et les emballages, dont une grande partie est contaminée par de la terre ou des résidus organiques. Cette contamination empêche souvent le recyclage de ces plastiques, qui sont alors enfouis ou incinérés à l’air libre, ce qui pollue l’environnement local.

Mais quelle est l’ampleur exacte du problème? « Les paillis plastiques contiennent souvent tellement de terre que celle-ci pèse de deux à quatre fois plus que le plastique lui-même, ce qui rend le recyclage peu pratique. De fait, seulement 23 % de ces déchets sont recyclés et 27 % sont brûlés; les 50 % restant aboutissent dans des décharges », explique Mme Chile.

Des statistiques aussi inquiétantes soulignent l’urgence de trouver des solutions de rechange viables. Comme l’utilisation du plastique en agriculture est appelée à augmenter, la nécessité de réduire les déchets plastiques devient une priorité absolue. Les chercheurs, les innovateurs et les agriculteurs se demandent maintenant si – et comment – les plastiques biodégradables peuvent contribuer à relever ces défis.

Innovations dans le domaine des plastiques biodégradables

Les plastiques biodégradables s’imposent désormais comme une solution possible à la pollution plastique dans le domaine de l’agriculture et des emballages alimentaires. Contrairement aux plastiques ordinaires dérivés de produits pétrochimiques, ces nouveaux matériaux peuvent théoriquement se décomposer en substances inoffensives dans certaines conditions. Mais tiennent-ils vraiment cette promesse?

Mme Chile souligne que ce domaine évolue rapidement. De nombreux polymères, mélanges et additifs sont à l’étude, et une conception minutieuse est nécessaire afin que ces matériaux se dégradent efficacement tout en répondant aux exigences de l’emballage alimentaire et de l’utilisation agricole. « Les efforts déployés pour mettre au point des plastiques biodégradables font progresser la durabilité dans le secteur alimentaire en relevant les défis importants posés par les déchets plastiques ordinaires », explique-t-elle.

Cela dit, tous les plastiques biodégradables ne se valent pas. Les termes « biodégradable », « compostable » et « dégradable dans le sol » supposent chacun des voies et des délais de décomposition différents. Certains matériaux sont adaptés aux installations de compostage industriel, qui maintiennent des températures élevées et des conditions microbiennes strictes. D’autres sont conçus pour se dégrader dans le sol, ce qui est pratique dans des domaines où la récupération du plastique est difficile, voire impossible, comme les films de paillage.

Utilisés correctement dans l’environnement auquel ils sont destinés, ces plastiques réduisent la charge des sites d’enfouissement et peuvent même enrichir les sols en laissant de la matière organique. Pourtant, des problèmes persistent. Certains plastiques biodégradables libèrent des microplastiques au cours des premières étapes de leur décomposition. D’autres ne se dégradent pas aussi rapidement dans des conditions plus froides et variables. L’équilibre entre les performances (par exemple, l’élasticité des films souples), le coût et la biodégradabilité réelle demeure un casse-tête technique permanent.

Des chercheurs comme Mme Chile et ses collaborateurs affinent la chimie des polymères et explorent de nouvelles matières premières, comme les résidus agricoles, pour obtenir des produits à faible impact et à haute fonctionnalité. Mais pourquoi ces innovations ne sont-elles pas adoptées plus rapidement? L’un des principaux points d’achoppement, semble-t-il, est le coût.

Le coût de l’innovation

Pour plusieurs raisons, la plupart des nouveaux polymères d’origine biologique sont plus chers que les plastiques ordinaires à base de pétrole. Le coût des matières premières naturelles est plus élevé, la quantité d’énergie nécessaire à leur production est plus importante et l’échelle de production est trop faible. Les installations de transformation du plastique sont établies et équipées pour produire des produits en grandes quantités, ce qui réduit les coûts de production.

Inversement, de nombreuses usines de production de plastiques biodégradables ne fonctionnent pas encore à l’échelle, ce qui augmente le prix de la production. Par conséquent, même si un produit répond à un objectif de durabilité, les agriculteurs et les transformateurs ont souvent du mal à justifier les coûts initiaux plus élevés. On peut comprendre que le risque est réel pour les producteurs; si les méthodes actuelles sont fiables et rentables, pourquoi parier sur quelque chose de nouveau qui pourrait être moins performant ou, pire encore, inefficace?

Le plastique ordinaire est bon marché et abondant. Alors, comment faire pencher la balance en faveur de l’environnement sans que les innovateurs et les adeptes se ruinent? Des incitations peuvent être nécessaires pour attirer l’attention sur les solutions de rechange durables, mais potentiellement plus chères, et pour encourager leur adoption. En l’absence de subventions et de crédits d’impôt, la transition vers des matériaux plus écologiques risque de continuer à piétiner – pour les agriculteurs qui ont déjà des marges réduites et pour les jeunes entreprises qui mettent au point une nouvelle solution.

La circularité au service du développement durable

Dans une véritable économie circulaire, on ne se contente pas de substituer un plastique par un autre; on réimagine des chaînes de valeur entières afin de réduire les déchets et d’assurer l’utilisation continue des matériaux. Dans cette vision, la fin de vie d’un produit est planifiée dès le départ afin que les ressources puissent être récupérées, recyclées ou retournées à la terre en toute sécurité.

En agriculture, les stratégies circulaires pourraient inclure la réutilisation ou le recyclage des articles en plastique chaque fois que cela est possible, le compostage des résidus organiques et l’utilisation de matériaux biodégradables uniquement lorsqu’ils sont réellement utiles. « La mise en œuvre de l’économie circulaire dans le secteur agroalimentaire nécessite un changement de mentalité, des investissements dans les infrastructures et des politiques de soutien », dit Mme Chile.

Une telle transformation exige des cadres politiques cohérents qui encouragent l’innovation. Les programmes de responsabilité élargie des producteurs (REP) pourraient attribuer une plus grande responsabilité aux fabricants, en les encourageant à concevoir des produits plus faciles à recycler ou à composter. Un financement public pourrait aider à construire l’infrastructure nécessaire – comme les installations de compostage industriel et les programmes de recyclage spécialisés – pour traiter les nouveaux matériaux biodégradables.

En outre, la pensée circulaire met l’accent sur la « hiérarchie des déchets ». Concrètement, il s’agit de réutiliser et de recycler chaque fois que c’est possible, de réserver le compostage aux matériaux qui ne peuvent pas être récupérés ou réutilisés de manière rentable, et d’utiliser des technologies de valorisation énergétique des déchets pour les sous-produits réellement irrécupérables. Les plastiques biodégradables ont un rôle à jouer, mais seulement dans un système élargi qui valorise l’efficacité des ressources à chaque étape.

Pour en revenir aux préoccupations économiques liées à l’adoption, comment faire pour que ces pratiques soient assez attrayantes pour devenir la norme? Les incitations et les directives gouvernementales peuvent contribuer à faire pencher la balance des coûts. Si les politiques imposent un certain contenu biodégradable ou recyclable – comme les taxes ou les interdictions sur les plastiques à usage unique –, les solutions durables deviennent alors plus compétitives. De plus, grâce aux puissants efforts concertés déployés par l’industrie pour atteindre des objectifs communs, le passage à la circularité est beaucoup plus plausible.

Efficacité énergétique et technologies de valorisation énergétique des déchets

Les coûts énergétiques peuvent être énormes en agriculture. Pensons entre autres au chauffage des serres et à l’utilisation de machines de pointe. Les systèmes de valorisation énergétique des déchets, comme la digestion anaérobie ou l’incinération avancée, sont le fondement d’une approche circulaire en transformant les déchets organiques en énergie. Mais peuvent-ils aussi résoudre le dilemme du plastique?

Mme Chile note que, si ces technologies sont efficaces pour les sous-produits organiques, elles ne sont pas nécessairement les mieux adaptées aux plastiques qui ont encore une valeur marchande ou matérielle. « Les plastiques qui conservent une valeur économique dans le cadre d’une économie circulaire se prêtent mieux au recyclage qu’à l’incinération, qui les retire de la boucle des matériaux », explique-t-elle.

Donc, si un article en plastique est recyclable, du point de vue de la durabilité, il vaut mieux récupérer ses ressources que l’incinérer. Toutefois, les plastiques fortement contaminés et les plastiques biodégradables en fin de vie se prêtent bien à la valorisation énergétique des déchets, qui constitue un avantage secondaire.

La digestion anaérobie est un processus de valorisation énergétique des déchets qui décompose les matières organiques à l’aide de micro-organismes dans un environnement fermé et sans oxygène. Ce processus permet de traiter certains plastiques biodégradables ainsi que des résidus agricoles, produisant du biogaz qui peut être utilisé pour produire de l’électricité ou de la chaleur. Les agriculteurs peuvent aussi utiliser le digestat résiduel comme amendement du sol riche en nutriments et ainsi boucler la boucle.

Lorsque la valorisation énergétique des déchets est intégrée de manière réfléchie – une fois les possibilités de réutilisation ou de recyclage épuisées –, elle constitue une pièce maîtresse du casse-tête de l’économie circulaire. Elle peut aider les exploitations agricoles à réduire leur dépendance à l’égard des combustibles fossiles, à diminuer les coûts d’élimination et même à créer de nouvelles sources de revenus grâce à la vente d’énergie.

Cependant, des infrastructures et des investissements importants sont nécessaires afin que ces projets soient réalisables. La construction d’une installation de valorisation énergétique des déchets, ou même d’un petit système de digestion anaérobie, par exemple, nécessite des investissements considérables. Or, la plupart des petites et moyennes exploitations n’ont pas les ressources nécessaires pour investir dans de nouvelles infrastructures sans soutien financier ni conseils d’experts. Il s’agit là d’un autre domaine où des incitations et des politiques gouvernementales ciblées peuvent avoir une influence positive sur les résultats. De même, des organisations comme Bioenterprise Canada peuvent apporter leur aide en mettant en relation les innovateurs et les producteurs avec les partenaires et les sources de financements adaptés, transformant ainsi des projets pilotes prometteurs en entreprises évolutives.

Construire un système circulaire complet

Mme Chile est convaincue que, pour trouver des solutions véritablement durables, il faut considérer l’agriculture, les matières plastiques et la gestion des déchets comme un système interconnecté. Dans le cadre de son travail, elle encourage la collaboration entre les chercheurs, les acteurs de l’industrie et les décideurs politiques. Selon elle, il ne s’agit pas seulement de remplacer un plastique par un autre, mais de façonner un avenir où les ressources circulent en boucles régénératrices.

L’ultime appel à l’action de Mme Chile rappelle que si la valorisation énergétique des déchets, les plastiques biodégradables et les initiatives de recyclage ont tous un rôle à jouer, il n’existe aucune solution miracle. La réussite dépend de la superposition de plusieurs stratégies dans un système qui valorise l’utilisation optimale des matériaux, de la semence au sol et vice-versa.

C’est là que l’aspect « social » joue un rôle important. Le changement peut être désagréable, mais en regardant vers l’avenir, nous devons tous envisager de nouveaux processus et produits et être prêts à les adopter. « Des stratégies multiples doivent être intégrées de manière réfléchie dans une stratégie globale qui accorde la priorité au recyclage, à la réutilisation des matériaux et à la production de produits d’origine biologique de grande valeur afin de créer une économie circulaire résiliente et efficace », dit Mme Chile.

En d’autres termes, pour chaque matériau, nous devrions avoir un plan pour sa durée utile – et au-delà. Une fois que nous avons adopté une façon de penser en faveur de la circularité, nous considérons le plastique non pas comme un fardeau environnemental inéluctable, mais comme une ressource à gérer avec soin ou à remplacer par des solutions durables, dans la mesure du possible. C’est cet état d’esprit qui permet d’engager le véritable changement à long terme.

Pistes de réflexion (et d’action)

Le coût et les politiques déterminent sans aucun doute la rapidité avec laquelle ces innovations se généraliseront. Les termes « biodégradable » et « compostable » ont peu de portée si les agriculteurs et les producteurs ne peuvent se permettre ces changements ou s’ils ne veulent pas prendre le risque de les adopter. De même, la valorisation énergétique des déchets restera marginale jusqu’à ce que des incitations plus importantes abaissent la barrière du capital et garantissent la rentabilité à long terme.

Bioenterprise Canada collabore avec des entreprises agroalimentaires émergentes afin d’accélérer la commercialisation de solutions technologiques propres comme celles-ci. En mettant les entrepreneurs en contact avec du financement, de l’expertise, du mentorat et des services essentiels, et en jumelant des producteurs novateurs avec des technologies de pointe, Bioenterprise Canada aide à transformer des idées novatrices en produits et services commerciaux viables. Avec la collaboration, le soutien politique et les instruments d’investissement appropriés, le secteur agroalimentaire canadien peut devenir un chef de file dans le domaine des technologies propres et durables.

Le chemin vers un avenir circulaire en agriculture est loin d’être simple. Le voyage en vaut-il la peine? Participez à la conversation avec des experts de l’industrie et des entrepreneurs innovants du domaine agrotechnologique dans la communauté du Réseau en ligne [en anglais seulement].


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