Michael McGee, directeur de l’innovation, et Richard Cloutier, membre du Conseil d’administration et conseiller en innovation de Bioenterprise Canada, abordent les relations entre l’innovation agrotechnologique, la sécurité alimentaire et la croissance économique
Par Tabitha Caswell pour Bioenterprise Canada
Pour la plupart des gens, la sécurité alimentaire est synonyme de lutte contre la faim et les inégalités sociales. Le moment est venu d’élargir la conversation. La sécurité alimentaire est non seulement une préoccupation humanitaire, mais aussi une nécessité économique régionale et nationale. Pour le Canada, l’innovation alimentaire et agrotechnologique peut apporter des solutions qui contribuent à nourrir encore plus de gens tout en stimulant la croissance.
Richard Cloutier, membre du Conseil d’administration et conseiller en innovation de Bioenterprise Canada, nous fait profiter de son expertise en matière de transfert de technologie, d’innovation et d’investissements de démarrage. Michael McGee, directeur de l’innovation à Bioenterprise Canada, nous fait aussi partager ses quelque 30 ans d’expérience en matière d’investissements dans les petites et moyennes entreprises (PME), dont les huit dernières années dans le secteur agroalimentaire. Ensemble, ils décortiquent la question de savoir comment la promotion de l’innovation agrotechnologique favorise la prospérité économique du Canada.
Reconnaissant l’urgence de la sécurité alimentaire, les gouvernements accordent de plus en plus la priorité à des politiques qui encouragent l’élaboration de solutions innovantes. La mise en œuvre de ces solutions pour améliorer la sécurité alimentaire permet aussi d’attirer des investissements, de stimuler le commerce et de réduire la pression sur les systèmes sociaux. La volonté d’améliorer la sécurité alimentaire peut-elle être considérée comme un catalyseur de croissance économique et de stabilité à long terme?
Grâce à des investissements ciblés dans l’innovation alimentaire et agrotechnologique, le Canada peut s’imposer comme chef de file de la production alimentaire et comme puissance économique mondiale. Mais avant d’aller plus loin, commençons par examiner ce que nous entendons par sécurité alimentaire.
Richard says, “According to the Committee on World Food Security, the four pillars of food security are availability, access, utilization, and stability, which form the basis of the most acceptable definition.” A secure food system provides access to a stable supply of healthy food, available to, and used sustainably by, everyone. He adds, “While there is no direct link between food security and the economy, a secure food system directly benefits individuals, who then contribute to the economy.” Considering this, we can evaluate how agri-tech ecosystems play a role, directly or indirectly, in supporting these pillars.
Referring to Maslow’s Hierarchy of Needs, Michael notes, “Food production is one of the most urgent societal requirements to address. I cannot think of anything more disruptive to productivity, the social fabric, and democracies than a country where most of its populace or workforce can no longer afford the basics.” Given Canada’s growing population, northern climate, and regionalized systems, the critical role of food security in supporting both social stability and economic growth is apparent.
Whether directly or indirectly, food security and the economy are related. So, where does agri-tech innovation fit in? Read on as we examine the relationships between agri-tech, food security, and economic resilience including investment, jobs, trade opportunities, and more.« Selon le Comité de la sécurité alimentaire mondiale, les quatre piliers de la sécurité alimentaire sont la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité, indique M. Cloutier. Ces piliers constituent l’essence de la définition la plus acceptable. » Un système alimentaire sûr permet à tous d’avoir accès à une offre stable d’aliments sains, disponibles et utilisés de manière durable. « Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre la sécurité alimentaire et l’économie, un système alimentaire sûr profite directement aux individus, qui contribuent ensuite à l’économie », ajoute M. Cloutier. Partant de cela, nous pouvons évaluer la manière dont les écosystèmes agrotechnologiques contribuent, directement ou indirectement, à soutenir ces piliers.
« La production alimentaire est l’un des besoins sociétaux les plus urgents à satisfaire », dit M. McGee, en faisant référence à la pyramide des besoins de Maslow. « Je ne vois rien de plus perturbateur pour la productivité, le tissu social et les démocraties qu’un pays dont la majeure partie de la population ou de la main-d’œuvre n’a plus les moyens de se procurer les produits de base. » Compte tenu de la croissance démographique, du climat nordique et des systèmes régionalisés du Canada, il est évident que la sécurité alimentaire joue un rôle essentiel en soutenant la stabilité sociale et la croissance économique.
Directement ou indirectement, la sécurité alimentaire et l’économie sont liées. Mais quelle place l’innovation agrotechnologique occupe-t-elle? Nous allons examiner les relations entre l’agrotechnologie, la sécurité alimentaire et la résilience économique, y compris l’investissement, l’emploi, les débouchés commerciaux et plus encore.
Attirer des investissements et stimuler l’innovation
Le renforcement de l’écosystème agroalimentaire et agrotechnologique stimule l’innovation tout en attirant des investissements cruciaux qui alimentent la croissance économique. Le financement public et privé de la recherche et du développement (R et D) permet de faire progresser les techniques agricoles, la résistance des cultures et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement. Les nouvelles technologies appliquées qui en résultent peuvent non seulement stimuler la croissance économique à long terme, mais aussi contribuer à atténuer l’insécurité alimentaire en augmentant la production et la transformation des aliments et en améliorant l’accès à des aliments abordables et nutritifs.
M. McGee souligne que les événements récents ont braqué les projecteurs sur les systèmes actuels. « Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues aux confinements imposés pendant la pandémie de COVID-19 ont fait prendre conscience de la vulnérabilité de nos systèmes alimentaires au public et aux décideurs politiques. Cela a suscité un intérêt considérable pour les investissements dans des technologies comme l’agriculture en milieu contrôlé, les protéines d’origine végétale et les systèmes d’aquaculture en recirculation, qui s’inscrivent aussi dans le cadre des priorités environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) et de l’agriculture régénératrice. »
Toutefois, M. McGee souligne que malgré l’enthousiasme, les capitaux privés reviennent souvent à la recherche de rendements financiers ajustés au risque, tandis que les fonds à impact social et les investisseurs publics et quasi publics peuvent continuer à financer ces initiatives stratégiques pour leurs avantages sociétaux à long terme malgré des rendements financiers modestes. Autrement dit, si les investisseurs privés recherchent généralement des rendements financiers rapides, les investisseurs publics et à impact social sont davantage disposés à financer des initiatives sociales telles que la sécurité alimentaire et la durabilité environnementale pour leurs avantages sociétaux à long terme, en misant sur les bénéfices à long terme plutôt que sur des gains financiers immédiats.
Si l’investissement est un moteur indispensable de l’innovation, les jeunes pousses agrotechnologiques canadiennes sont confrontées à des défis uniques lorsqu’il s’agit d’obtenir le financement nécessaire à leur développement. Il est essentiel d’éliminer ces obstacles pour créer un écosystème dynamique qui attire les investisseurs nationaux et internationaux nécessaires pour faire du Canada un chef de file de l’innovation agrotechnologique.
« On rappelle constamment aux entrepreneurs que leurs produits doivent répondre aux besoins du marché, notamment par des réductions de coûts, ajoute M. Cloutier. Au Canada, le financement des innovations est limité par rapport aux investissements importants observés ailleurs, mais nos entrepreneurs répondent toujours à ces exigences de manière adéquate. »
L’afflux de capitaux dans l’innovation alimentaire et agrotechnologique crée de nouveaux marchés pour les technologies émergentes, ce qui accroît la résilience économique et renforce l’avantage concurrentiel d’un pays dans le système alimentaire mondial.
Durabilité et résilience
Les solutions agrotechnologiques sont susceptibles d’assurer à la fois la sécurité alimentaire et la durabilité environnementale, contribuant ainsi à la stabilité économique à long terme. M. Cloutier souligne que c’est au chapitre de l’utilisation durable des ressources que les innovations joueront un rôle important. « La perte de carbone du sol, l’utilisation plus efficace de l’azote et la gestion de l’eau ne sont que quelques-uns des domaines dans lesquels le changement climatique oblige les organisations à mieux tenir compte de l’utilisation des ressources et de la productivité. » La stabilité à long terme de l’ensemble de la chaîne de valeur passe par une intégration accrue des considérations climatiques.
« L’investissement dans la sécurité alimentaire renforce la croissance économique en augmentant les rendements de la production, en réduisant la dépendance à l’égard des importations et en améliorant les exportations, souligne M. McGee. Cela permet de réduire l’inflation alimentaire et d’améliorer les résultats pour la société. Toutefois, il est difficile de trouver un équilibre entre les méthodes agricoles traditionnelles et les technologies innovantes qui sont durables sur le plan environnemental, sans augmenter les coûts pour les producteurs ni réduire les rendements. »
En réduisant les déchets et en optimisant les ressources, les solutions innovantes garantissent non seulement la durabilité environnementale, mais contribuent également à favoriser la stabilité à long terme en réduisant les coûts et en améliorant l’efficacité tout au long de la chaîne de production alimentaire. Cependant, les deux experts s’accordent à dire que les innovations à elles seules ne suffisent pas; il est essentiel de sensibiliser les agriculteurs pour stimuler la mobilisation et l’adoption, et d’aligner les efforts tout au long de la chaîne d’approvisionnement nationale pour tirer pleinement parti des avantages des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle (IA) et la robotique, notamment.
En améliorant la production, la disponibilité et l’accessibilité des aliments, l’innovation alimentaire et agrotechnologique peut améliorer les processus et les chaînes d’approvisionnement, réduisant ainsi la pression sur les systèmes de sécurité sociale et permettant aux gouvernements de réorienter leurs ressources vers d’autres domaines prioritaires. En outre, des systèmes alimentaires plus sains et plus stables contribuent à réduire les coûts des soins de santé en luttant contre la malnutrition et les maladies liées à l’alimentation, ce qui favorise la productivité globale de la main-d’œuvre et la stabilité de la société.
Création d’emplois, développement de la main-d’œuvre et réduction du fardeau social
L’innovation agrotechnologique joue un rôle essentiel en stimulant la création d’emplois dans les secteurs de l’alimentation et de l’agriculture, de la technologie et du développement durable. Si l’automatisation et la robotique comblent les lacunes dans les postes difficiles à pourvoir, le perfectionnement de la main-d’œuvre devient essentiel, car les nouvelles avancées technologiques nécessitent l’amélioration et le perfectionnement des compétences. Les nouveaux emplois technologiques créés dans les économies locales, en particulier dans les régions sous-développées comme les communautés rurales et nordiques du Canada, stimulent les dépenses de consommation et la croissance.
Dans ces communautés, les avantages sont décuplés. « Je pense que la technologie permettra de plus en plus à nos communautés nordiques et autochtones de devenir autosuffisantes, ce qui améliorera les résultats en matière de santé grâce à l’accès à des aliments frais et non transformés », dit M. McGee.
En bref, les technologies agricoles et agroalimentaires peuvent offrir des solutions pour améliorer la sécurité alimentaire, créer de nouveaux emplois technologiques et développer des entreprises. Il s’agit là d’un cycle durable qui réduit la dépendance à l’égard de la sécurité sociale et améliore la productivité de la main-d’œuvre, renforçant ainsi la résilience économique du Canada à l’échelle locale, nationale et mondiale.
Améliorer les débouchés commerciaux et les possibilités d’exportation
Nous avons établi que les solutions innovantes en matière d’alimentation et d’agrotechnologie peuvent améliorer à la fois la qualité et la quantité de la production alimentaire. Cela permet au Canada de répondre aux besoins nationaux tout en ouvrant les portes des marchés internationaux. Les pays qui tirent parti de ces technologies sont en mesure de devenir des acteurs clés du commerce international, générant des recettes étrangères, stimulant le PIB (produit intérieur brut) et renforçant leur balance commerciale. Cela accroît leur résilience économique et leur influence sur la sécurité alimentaire mondiale. En tant qu’acteur de premier plan en matière de recherche et développement, le Canada est bien placé pour devenir un leader mondial de l’agroalimentaire si nous améliorons notre capacité à commercialiser nos innovations.
« À l’ère du changement climatique, des tensions géopolitiques importantes et du protectionnisme, le Canada est bien placé pour renforcer la résilience de sa chaîne d’approvisionnement alimentaire et pour exporter ses technologies, fait valoir M. McGee. Pour y parvenir, il est essentiel d’investir massivement dans des technologies qui améliorent notre productivité, en veillant à ce que, comme nation commerçante dépendant des exportations de produits de base, nous conservions un avantage concurrentiel en tant que producteur fiable à faible coût. »
Il est important de reconnaître que les entrepreneurs et les jeunes pousses du secteur agrotechnologique au Canada se heurtent encore à des obstacles importants pour se développer et accéder aux marchés étrangers, et qu’ils ont besoin d’un soutien politique et d’investissements supplémentaires afin que leurs innovations soient compétitives sur la scène internationale.
« L’innovation et le savoir peuvent aussi être exportés, ajoute M. Cloutier. Si la plupart des produits de base sont confrontés à une rude concurrence sur les marchés internationaux, comme le canola canadien face aux produits européens ou chinois, les technologies de production efficaces trouvent des marchés faciles. Toutefois, la technologie à elle seule ne répondra pas à tous les besoins des consommateurs. Par exemple, les kiwis viendront toujours de Nouvelle-Zélande et les bananes d’Inde ou d’Indonésie. Mais si les innovations canadiennes optimisent la production sur les plans économique et environnemental, l’impact sociétal mondial sera considérable. »
« Nous devrions penser en termes de production locale plutôt que d’exportation de produits », conclut-il, ce qui suggère que la croissance nationale pourrait être le fondement de la compétitivité mondiale.
Stimuler les économies locales
L’innovation agrotechnologique va au-delà de l’agriculture et crée diverses sources de revenus susceptibles de transformer les économies locales. Le développement de l’agrotourisme, la création de marques alimentaires régionales et le développement de produits et d’entreprises alimentaires locaux ouvrent de nouvelles possibilités de croissance économique. Ces initiatives aident les communautés rurales et isolées à aller au-delà de l’agriculture traditionnelle en leur offrant l’accès à de nouvelles sources d’aliments sains et nutritifs et à des sources de revenus supplémentaires.
« Le passage d’une société agraire à une société industrielle a toujours été caractérisé par la croissance des populations urbaines au détriment des populations rurales, dit M. McGee. Les petites entreprises étant historiquement le moteur de la croissance de l’emploi au Canada, nous devons créer des conditions qui permettent aux entrepreneurs du domaine agrotechnologique de réussir dans les petites communautés. »
Il cite des exemples de réussite en Alberta, où des investissements importants dans des technologies agricoles avancées ont transformé les exploitations agricoles locales. GoodLeaf Farms [en anglais seulement] a investi dans une ferme verticale de 74 000 pieds carrés (6 900 mètres carrés) à Calgary, et Sunterra Farms [en anglais seulement] a mis sur pied une serre de vingt acres à Acme. « Les investissements ont accru la diversité économique de la région en permettant la production de produits locaux toute l’année, explique M. McGee. Cela permet de faire baisser les prix hors saison et d’offrir aux consommateurs des aliments frais et nutritifs, ce qui, en définitive, profite aux économies locales et à la santé publique. »
En renforçant les économies locales, les investissements de ce type ont des retombées à l’extérieur, ce qui contribue à la stabilité économique globale du pays et renforce le leadership du Canada en matière de sécurité alimentaire nationale et d’innovation agrotechnologique mondiale.
Devant un avenir marqué par des pressions géopolitiques en constante évolution, une population croissante et les effets des changements climatiques, la sécurité alimentaire peut être considérée non seulement comme un objectif humanitaire, mais aussi comme un moteur essentiel du progrès économique. En créant des emplois, en attirant des investissements, en renforçant les échanges commerciaux et en réduisant le fardeau social, les solutions agroalimentaires et agrotechnologiques innovantes contribuent à résoudre les problèmes d’approvisionnement alimentaire et à créer des économies résilientes qui sont mieux équipées pour relever les défis.
Toutefois, pour libérer tout le potentiel de ces solutions, il faudra éliminer les obstacles auxquels se heurtent les jeunes entreprises canadiennes et veiller à maintenir l’investissement dans l’innovation. Grâce aux politiques et au soutien appropriés, le secteur agrotechnologique canadien peut non seulement répondre aux besoins nationaux en matière de sécurité alimentaire, mais aussi devenir un exemple d’innovation et un chef de file mondial en matière de prospérité agricole durable et fondée sur la technologie.